lundi 3 juillet 2017

"La Minute Critique de Martin Wantiez": "NieR: Automata"

2017 est une année assez incroyable pour le jeu vidéo.

Mes étranges sentiments contradictoires de 2016 ont été complètement balayés en seulement quelques mois, et le nombre d'expériences vidéoludiques ahurissantes ne cesse d'augmenter depuis janvier.

Je ne parle pas juste de bons voire très bons jeux, mais de perles qui explosent toutes les attentes et s'affirment comme quelques-uns des meilleurs titres de leurs genres respectifs.

Resident Evil 7, Mario Kart 8 Deluxe, Specter of Torment et Zelda: BotW m'ont fait passer de grands moments, tandis qu'Emily is Away Too et Persona 5 m'ont mis des claques monumentales, jouant directement sur mes sentiments et ma manière d'aborder mon quotidien.

S'il va être très compliqué pour certains titres de prouver leur valeur alors que la barre a été placée aussi haut, je suis tout de même sûr que certains jeux que j'attends avec impatience vont réussir sans faute à exploser la concurrence (Splatoon 2 et Super Mario Odyssey disent bonjour).

Mais quoi qu'il arrive... Rien ne pourra dépasser ce qui reste l'un des plus grands jeux auquel j'aurais jamais touché. Un titre dont je n'attendais rien, et qui m'a pourtant fait vivre l'une des expériences les plus intenses, les plus intelligentes, et les plus importantes de ma vie.

NieR: Automata est le meilleur jeu de 2017, et il va pour moi être impossible à détrôner.

Glory to Mankind.




"This cannot continue, this cannot continue, this cannot continue, thiscannotcontinuethiscannotcontinuethiscannotcontinue"

Dans un lointain futur, l'humanité a déserté la Terre après son invasion par une race extraterrestre et son armée de machines.

Depuis la Lune, leur nouveau refuge, les humains mettent en œuvre un plan pour reprendre le contrôle de leur foyer, et envoient un groupe d'androïdes de combat, le groupe YoRHa, à la reconquête de la planète.

Vous êtes 2B, une androïde d'attaque initialement envoyée en mission dans une usine désaffectée pour détruire une gigantesque unité Goliath. Aidée par l'éclaireur 9S, et passée la mission d'introduction dans l'usine, 2B va explorer un monde en ruines où la nature reprend ses droits, pour récupérer le contrôle de la Terre, découvrir la vérité sur la nature des machines, et bien, bien... BIEN plus.

Et c'est tout ce que je dirai sur l'histoire de NieR: Automata. N'allez bien évidemment pas croire que le jeu est léger en scénario. Au contraire.

Tellement au contraire en réalité que je fais le choix de complètement me taire et de ne pas entrer dans les détails. Je l'ai déjà dit auparavant, je suis très prudent quand je considère qu'un jeu mérite qu'on s'y lance tête baissée avec un minimum d'informations.

Mais dans le cas de NieR, je me retrouve dans une situation un peu complexe. Car tout le génie de son design et de son statut réside dans sa structure.

NieR: Automata possède 5 fins principales. A, B, C, D, et E.

Pour accéder à ces différentes fins, il vous faut terminer le jeu 3 fois. Et demi. A peu près.

Et si vous pouvez vous contenter d'une seule partie pour profiter de l'ambiance, de la musique, du gameplay et des personnages... Il est bien plus important de jouer le jeu et de prendre le temps d'explorer toutes les possibilités qu'offre le titre.

Vous DEVEZ terminer les 5 parties. C'est un ordre. Car à partir de la Run C, NieR: Automata passe d'un jeu Platinum très réussi à une œuvre poignante. Une œuvre importante. Essentielle même.


"A future is not given to you. It is something you must take for yourself."

Choisir Platinum Games pour développer Automata est un choix tellement parfait et évident que je suis triste qu'il n'ait pas été fait plus tôt.

Le NieR original est réputé pour son histoire et son design incroyables cachés derrière un gameplay absolument infernal. Automata n'a clairement pas ce problème.

Le jeu est un Action-RPG en monde ouvert mixant du Beat 'em All ultra nerveux à du Shoot 'em Up. Le monde est rempli de personnages ravis de vous refiler leur sale boulot, et les quêtes s'accumulent rapidement, la plupart vous demandant de partir aux quatre coins de la map pour tuer quelque chose ou récupérer un objet.

NieR: Automata est un Platinum Games à son quasi meilleur, et la fluidité de l'action et des déplacements (avec des protagonistes sprintant, sautant, esquivant, et faisant de la chute libre constamment) s'accorde parfaitement à l'univers et à la formule plus orientée RPG du titre.

Cette fluidité permanente est assez essentielle à la structure d'Automata, et s'il est évident que le rythme est particulièrement soutenu lors des phases de combat, funs et nerveuses, il est assez saisissant de constater que le flow de l'action ne se relâche jamais dans aucun des autres éléments de gameplay.

Les phases de Shoot 'em Up furent l'un des points m'ayant le plus impressionné, tout particulièrement après ma désastreuse expérience avec Star Fox Zero. Pêchues et visuellement hallucinantes, elles s'accordent parfaitement aux séquences beat 'em up monde ouvert, et s'intègrent avec une limpidité remarquable quand leur présence devient plus régulière.

Automata est cohérent, et conserve des éléments de chaque phase dans chacune d'entre elles, avec des passages limites Bullet Hell à pied, et la possibilité de fracasser des vagues de machines à l'épée en plein vol.

L'exploration et l'appréhension de l'environnement bénéficient énormément de la vitesse générale du jeu, et donnent un peps surprenant à certaines quêtes annexes pouvant paraître assez monotones au premier abord.

Chaque quête raconte une histoire et représente une étude de personnage fascinante. Si l'histoire principale est fabuleuse en elle même, ses thèmes implosent après avoir complété certaines missions secondaires tant chacune d'entre elle dépeint avec brio de nouvelles facettes du monde et de la psyché de ses protagonistes.

Plus le jeu avance, plus la manière d'appréhender certaines zones familières évolue, et un lieu auparavant lumineux et majestueux peut se transformer en un tombeau, une relique d'un passé sombre, de milliers d'années de souffrance... Une souffrance éternelle qui ne cesse de hanter l'univers et les personnages.

En plus de mettre en avant certains pans de la lore et de l'histoire de NieR, les diverses zones prennent en personnalité via le gameplay. On a affaire à un monde ouvert très nippon, un monde au premier abord assez vaste, mais finalement plutôt restreint, que vous connaissez rapidement par cœur et où vous vous retrouvez à repasser régulièrement par les mêmes environnements.

Mais au lieu d'être redondant et ennuyeux, le fait de faire des aller retours permet au joueur de tisser un lien avec l'univers et les décors.

Comme dans, complètement au hasard, Resident Evil, avec son cultissime Manoir Spencer, le joueur s'attache aux diverses zones qu'il parcourt, des zones interconnectées par de nombreux raccourcis et chemins annexes donnant au monde un aspect beaucoup plus intime, et étrangement plus libre.

Et une fois que vous êtes attaché à l'univers, il est bien plus facile pour le jeu de tout détruire et de massacrer vos rêves et vos espoirs, mais ce sera pour plus tard.

S'il est possible, et très agréable, de foncer comme une torpille et de vous déplacer comme bon vous semble dans la map (à pied, ou à dos d'animaux sauvages, oui oui), un autre moyen de transport est disponible.

De nombreuses machines de transferts sont à votre disposition pour vous téléporter à destination (et ainsi compléter certaines quêtes secondaires à vitesse Grand V), et vous permettent aussi, très important, de sauvegarder rapidement. Important, car au vu de l'absence de sauvegarde automatique et de l'influence non négligeable de l'équipement que vous perdez en tombant au combat, un checkpoint n'est jamais de trop.

L'équipement, tout particulièrement les puces d'améliorations, couplées aux pods de combat à distance et aux divers combos d'armes et de puissance d'attaques habituels des jeux Platinum, vous sauvera bien la mise, et augmenter votre puissance d'attaque ou partir level up un petit peu ne sera pas forcément de trop face aux hordes d'ennemis rapides et violents que vous allez rencontrer.

Car on a bien affaire à un jeu Platinum, et les machines ne vous feront aucun cadeau. Même un simple groupe d'ennemis peut vous faire très mal très vite, et arrivé aux batailles de boss aux proportions monstrueuses, votre entrainement et vos capacités d'esquive vont vous être utiles.

L'un des autres points fort d'un Platinum, la gestion de l'échelle et de la verticalité de l'action, résonne avec l'univers d'Automata.

Quelque soit leur nombre ou la situation, vous vous retrouvez à lutter contre des ennemis tantôt adorablement petits, tantôt atrocement gigantesques, et plus vous avancez, plus votre puissance augmente, ne laissant aucune chance aux adversaires les plus imposants... Un fait rendant rapidement évident les intentions du titre, et seulement l'une des premières utilisations du média à l'avantage de son story-telling.

On y reviendra.


"Is this... Death..?"

Il est maintenant l'heure de me pougner sur les aspects techniques du jeu.

Parce que Nom de Zeus.

NieR: Automata est beau. Terriblement beau.

La direction artistique est à tomber, dépeignant des siècles de malheur et de destruction dans la simple construction de ses environnements. Des environnements explosant de vie malgré leur état glauque et délabré, et dans lesquels erre une vaste galerie variée de mignonnes machines et de gigantesques monstres de métal.

Osez me dire que vous n'avez pas eu le souffle coupé quand vos yeux se sont posés pour la première fois sur le parc d'attractions.

Le design des protagonistes, les unités YoRHa, est unique et bourré de personnalité, et, pour faire simple, pète la classe. Si certains éléments de l'apparence des androïdes s'inscrivent dans la continuité du travail accompli par le world-building en faisant résonner l'idéologie des humains les ayant créés, c'est leur aspect ultra badass né de la philosophie très intéressante de Taro qui rend le character design mémorable.

Yoko Taro aime les filles, et n'en a honnêtement rien à faire du reste, une façon de penser que je respecte énormément. De fait, 2B sprinte en hauts-talons et mini-jupe, et 9S arrache dans sa tenue en cuir, leur offrant une esthétique originale et inimitable.

J'adore le style complètement débridé des androïdes, rendant les protagonistes aussi sexys qu'intimidants, et particulièrement élégants en combat. Il y a surement beaucoup de choses à étudier dans le design des personnages, mais ce serait en faire trop pour rien. Alors comme Taro, je vais rester dans le premier degré le plus complet.

Quitte à tuer des robots venus de l'espace, autant le faire dans des tenues qui ont de la gueule.

La musique, quant à elle, représente bien ma frustration avec Automata. Elle me rappelle que je ne pourrai jamais décrire parfaitement mes sentiments sur le jeu, que je ne pourrai jamais expliquer en détails à quel point il m'a touché. Car l'OST me pose ce même problème à une différente échelle. Je ne peux pas exactement expliquer la pure beauté de la musique d'Automata.

Chaque nouvelle zone possède sa propre mélodie, une mélodie changeant d'intensité en fonction de la situation. De la relaxante cité en ruines à la fanfare du parc d'attraction, en passant par les musiques de boss et aux fabuleux chants, il n'y a pas un seul morceau du jeu que je trouve moins qu'incroyable.

La musique du titre, comme The Talos Principle, est essentielle à l'expérience, et une fois le jeu terminé, les morceaux, auparavant un merveilleux régal auditif, se transforment en quelque chose de plus fort.

La bande-son d'Automata est sensorielle, et même si je suis frustré par le fait de ne pas avoir les connaissances musicales requises pour décrire leur majesté, je vais me contenter de dire que cette OST est l'une des meilleures bande son de l'histoire du jeu vidéo. De très très loin.

Le voice acting quant à lui, anglais comme japonais, est un autre coup de maître, avec quelques-unes des meilleurs interprétations de ces dernières années,

Yoko Taro est l'un des game designer les plus talentueux du milieu. En plus de cocher toutes les cases qui m'éclatent en design, son style transforme NieR en quelque chose de vraiment spécial.

Taro est réputé pour son utilisation du média, pour ses nombreuses méthodes de subversion des codes et formules du jeu vidéo. Automata ne déroge pas à la règle, et tous ses aspects y gagnent.

Les attentes du joueur sont constamment détournées, au travers de plusieurs séquences brisant le 4ème mur en jouant avec le HUD ou le menu d'options, et de la ré-imagination d'une multitude de concepts connus, donnant un nouveau sens à l'idée de New Game + ou de Game Over.

La méta est régulièrement retournée, et le story-telling en bénéficie directement, avec certains changements de perspective appuyant sur les thèmes et idées du scénario en faisant découvrir au joueur de nouvelles manières d'aborder certains éléments de l'histoire via de simples séquences de gameplay revisitées sortant parfois de nulle part.

L'écriture et la construction jouent directement avec la méta et les connaissances du joueur, et sont rendus d'autant plus spéciales grâce à leur aspect ultra subversif. NieR: Automata est un jeu vidéo à 350%, et pas un seul de ses éléments n'est épargné.

Tout y passe, et le design du titre part souvent très loin. Il suffit de remarquer la présence de 21 fins alternatives, des équivalents de Game Over parfois complètement stupides souvent activées en trifouillant avec les commandes ou les options ou en essayant de repousser les limites des scripts et des séquences plus cinématiques, pour réaliser à quel point Taro connait son sujet.

La réalisation, absolument incroyable, utilise aussi énormément les divers plans et points de vue mis en place depuis les années 80 pour ajouter une dose de fluidité à l'action et faire profiter au joueur des environnements saisissants qu'il parcourt à 100 à l'heure.

Le titre adore basculer entre vue de derrière classique, vue de côté, ou vue du dessus, et enchaine habilement entre les styles de jeu et de contrôles, en plus de rajouter beaucoup de diversité à sa réal et ses visuels.

NieR: Automata est un grand jeu vidéo. Fun, ultra fluide, profond et intense, avec une direction artistique, des graphismes, une musique et une réalisation approchant parfois de la perfection.

Je pourrais parler des heures de chaque élément rendant le titre absolument fabuleux, chaque petit détail touchant le joueur au cœur... Et pourtant, malgré tout ce que je viens de dire, je ne me sens pas satisfait de ce que je pourrais apporter.

En tant que jeu vidéo, le titre est un chef-d’œuvre, mais... Je ne sais pas quoi faire pour décrire ce qui le fait passer de "grand" à "important".

Je dois m'avouer un peu bloqué avec Automata. Certains titres sont remplis de contenu et de mécaniques, et bourrés de tellement d'éléments passionnants que je pourrais en parler des heures. Certains, quant à eux, jouent tellement sur l'émotionnel et sur la surprise de l'expérience que je préfère me taire.

NieR: Automata est un mélange des deux assez déstabilisant pour mon style d'écriture. Je pourrais parler en détails du style Platinum, des divers aspects du gameplay en utilisant quelques exemples, ou partir en mode full spoil et faire une analyse ultra complète de ses thèmes et de ses liens de génie au NieR original... Mais cela ne m'intéresse pas. J'aurais beaucoup de choses à décrire, mais rien à dire.

Je ne peux malheureusement pas non plus limiter mon texte comme je le fais avec des titres comme Emily is Away ou The Beginner's Guide, car Automata n'est pas un type d'expérience se prêtant à ce genre d'exercice. C'est un jeu d'action complet, long,

Alors que faire ? Que faire pour faire honneur à cette perle, comment faire pour mettre mes sentiments sur papier alors que ne pas en dire assez me dérange, et en dire trop m'emmerde ?

Et puis j'ai repensé à la scène finale. Au tout dernier choix que le jeu offre à son joueur. Aux implications de la dernière séquence, au sentiment intense que la dernière image m'a fait ressentir... Bref, à ce que Yoko Taro veut raconter dans son œuvre.

J'ai donc décidé de parler le plus littéralement possible de mon expérience. De cette manière, je pense pouvoir peut-être décrire un minimum ce qui rend NieR si unique, si merveilleux, et vous intriguer suffisamment pour vous donner envie d'y toucher, tout en mettant sur papier mon ressenti et ce qui fait du titre une œuvre qui ne veut pas sortir de mon esprit.

Et cette œuvre si forte, cette œuvre majeure qui me bloque tellement, commence avec la run A. Flowers for a m[A]chine.


"DO YOU THINK GAMES ARE SILLY LITTLE THINGS ?"

Automata commence de la manière la plus nette possible, avec une intro bourrée d'action, terminant sur une scène prenant de court aux quelques éléments incompréhensibles.

Ajouté à l'incompréhension vient le fait que le jeu enchaine directement sur un check-up des fonctions vitales de 2B, un check-up amusant (avec quelques blagues brisant le 4ème mur absolument nickels) tranchant avec le ton très sombre de la séquence précédente.

Ces quelques touches d'humour sont régulières, et les robots et androïdes ont tendance à alléger l'atmosphère avec quelques répliques et dialogues très comiques, et une façon d'être presque naïve bienvenue, et très vite nécessaire au vu de la tournure des évènements.

Le check-up terminé, vous êtes directement lâché sur Terre, au milieu des ruines et des machines. Vous rencontrez de nouveaux alliés, visitez de vastes forêts et cités, et plus le temps passe et l'intrigue évolue, plus les questions s'accumulent.

Les péripéties s'enchainent, et l'attachement aux personnages s'accentue à chacune de leurs conversations (bonus pour les adorables discussions entre 2B et l'opératrice 6O) ou à chaque fois qu'ils rencontrent une machine dotée d'une conscience ou un androïde ayant pété les plombs.

Des némésis sont mis en place, un arc scénaristique clair commence, progresse, et se termine lors de la run... Et le jeu fini sur une note étrange. Une note douce amère, qui non contente de ne résoudre presque aucun élément de scénario, met en place certaines implications étranges et coupe court à sa propre envolée.

En en sachant peu sur le monde entourant les protagonistes, Automata perd un peu son joueur, lui faisant douter de ses actions sans pour autant mettre en place un manichéisme facile. Ou si, d'une certaine manière, car si fracasser les machines de plus en plus bavardes et parfois amicales devient assez douloureux, une menace claire reste présente, et la tuerie est nécessaire.

Mais il manque quelque chose. Pas juste un morceau de scénar, pas juste une réponse aux questions laissées en suspens... Quelque chose d'autre... Une raison.

La Run B change la donne dès son introduction, une intro déroutante qui laisse planer une ombre de désespoir sur le reste de la partie. Passé la séquence, vous vous retrouvez plus ou moins dans le même jeu qu'auparavant, la seule chose changeant vraiment l'expérience étant le fait de cette fois-ci contrôler 9S, qui en plus de se jouer d'une manière différente, ne passe pas tout à fait par les mêmes épreuves que 2B.

Malgré son énorme ressemblance à la A, la Run B manipule votre perception de l'univers et des personnages tout au long de l'histoire. De manière parfois subtile, avec de nouvelles quêtes et certains changements de perspective intéressants, ou parfois de manière bien plus évidente à grands coups de cinématiques supplémentaires et de séquences inédites.

Et c'est là que le génie de la structure transparait. Les deux premières runs ne sont que de la mise en place.

En vous faisant passer deux fois par la même aventure avec quelques changements de point de vue, le titre, en plus de poser beaucoup de questions et de mettre en place ses thématiques, construit une appréhension contradictoire de son univers et de sa philosophie via de multiples techniques.

Les quêtes secondaires mentionnées plus haut en sont une, montrant de nombreux PNJ aux esprits parfois très dérangés et aux histoires toutes plus déprimantes les unes que les autres chamboulant souvent les androïdes.

Le changement de perspective est un élément clé à la réussite d'Automata, vous faisant voir même les ennemis les plus dangereux sous un œil nouveau, et transformant votre questionnement sur votre objectif et vos intentions en quelque chose de bien, BIEN plus profond.

Des enjeux sont créés par simple superposition de séquences. Les combats contre certains ennemis et boss paraissent plus sombres, les raisons de vos actions deviennent parfois perturbantes, et les découvertes supplémentaires de la deuxième run vous font comprendre ce que NieR: Automata veut vous raconter.

Au moment de lancer la run C, et de prendre la claque la plus infernale de votre vie, vous savez déjà à quoi vous attendre.

NieR n'a pas de méchant. Pas de bad guy avec un plan machiavélique, pas de personnage aux sombres desseins. La guerre contre les machines n'a aucune importance. Rien n'a d'importance. Tout ce que vous avez accompli jusqu'à maintenant n'était qu'une mise en bouche, une aventure intense à l'espèce d'happy ending étrange vous laissant sur votre faim.

Sauf que NieR n'a pas d'happy ending. Et la descente aux enfers commence.


Dès les deux premières runs, les thèmes de NieR: Automata sont clairs, entre l'aspect très gris du bien et du mal, la définition floue de l'humanité, et les diverses dérives de la psyché pouvant pousser à commettre des actes irréparables autant sur les autres que sur vous-même.

Mais à partir du moment où le joueur comprend où le titre l'emmène, ces thèmes prennent une nouvelle forme. Et tout le contenu inédit qui s'offre à vous n'est qu'une longue série d'horreurs et de cœurs brisés.

Tout ce à quoi le jeu faisait allusion, tout ce qui se passait dans le background ou dans les quêtes secondaires, tout ce que les autres personnages faisaient, et que 2B et 9S ont parfois dû arrêter eux-mêmes... Tout arrive au premier plan cette fois-ci. Tout vous arrive à vous.

Et les personnages, les soldats forcés à réaliser des actes auxquels ils n'ont pas envie de participer, ces gens aux relations adorables participant à des conversations mondaines au milieu de l'horreur de leur histoire, rêvant à un futur meilleur où ils pourront vivre normalement... Ces personnages sont brisés, trainés dans la boue.

Car rien ne peut les sortir de leur situation. Il n'y a aucune échappatoire. Tous leurs espoirs ne sont que des mensonges, des mythes les poussant à avancer les yeux fermés, pour leur donner une raison de vivre. Une raison d'exister.

Cette quête d'identité, de raison d'être, cette éternelle question... Qui suis-je ? Que suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Qu'ai-je le droit d'être ? Ces interrogations que tant de personnages se posent, des réflexions apparaissant à des robots n'ayant jusqu'à aujourd'hui jamais pensé par eux-mêmes, n'ayant jamais imaginé possible de ressentir comme un être humain, d'imaginer, de créer, de vivre... Ce sont ces interrogations qui portent le reste du jeu.

A une échelle bien plus importante.

Dès le moment où 2B et 9S se retrouvent sur Terre pour tenter de terminer la guerre une bonne fois pour toute, tout s'écroule.

Scène choc après scène choc, révélation après révélation, le jeu enchaîne, se servant de l'élan et de la mise en place de la première partie pour briller et construire une étude de cas et un univers glauques et démoralisants.

Automata montre tout. Il n'a pas peur d'être morne, d'être triste, d'être absolument dévastateur. Et 9S, une unité de soutien amicale, se transforme en l'un des personnages les plus complexes et passionnants de l'histoire du jeu vidéo.

Voir ces protagonistes tomber est l'une des choses les plus affreuses à laquelle j'ai jamais eu l'horrible occasion d'assister, et quand la séquence finale débute, que la lore et l'ultime réponse se dévoilent, et que les personnages réalisent les enjeux et les véritables raisons de leur présence... Automata met un point final à détruire ce qu'il a mis en place, tout en l'élevant à un statut largement supérieur.

Toutes les horreurs, tous les cadavres, tous les espoirs brisés n'ont servi à rien. Et vous voila seul devant votre écran, les larmes aux yeux alors que le générique défile, en train de repenser à chaque petit élément, chaque question laissée en suspens, chaque personnage, chaque dialogue... Et tout prend sens.

NieR: Automata est une œuvre à la façon de penser grise, une œuvre défaitiste et pessimiste, une histoire fabuleuse, certes, mais noire, et... Un instant.

Et c'est là qu'elle arrive. La dernière séquence. Le véritable point final. Un point explosant le 4ème mur, massacrant la méta, prenant tout ce qui a été mis en place, détruit, puis remis en place, tout le pessimisme, toutes les horreurs...

Il les prend, les regardent dans les yeux, et dit "Non".

Cette séquence magistrale réussit trois choses: Transformer toute l'expérience en quelques minutes de jeu pour apporter une conclusion beaucoup moins sombre, révéler les véritables natures des thèmes de NieR et de son story-telling après avoir emmené le joueur dans tous les sens, et enfin, déclarer l'amour de Taro, de son équipe, et de toute personne ayant touché à Automata pour le jeu vidéo... Et l'humanité. Tout en même temps.

Vous avancez, vous vous retrouvez bloqué, mais vous ne désespérez pas. Je refuse d'abandonner, je refuse de gâcher cette occasion... Et c'est là que le jeu donne son chant du cygne. Via l'une des mécaniques les plus incroyables de l'histoire.

Et au moment d'assister à la dernière cinématique... NieR: Automata délivre un message d'espoir. Malgré toute l'horreur, malgré l'impasse de son univers et de ses protagonistes, malgré le fait qu'il y a de fortes chances que tout recommence de la même manière, encore et encore, les personnages ont droit à une chance.

L'humanité à droit à une chance. Même dans ses périodes les plus sombres, même quand elle montre ses facettes les plus infâmes, il y aura toujours de l'espoir. Il y aura toujours quelque chose à faire pour s'en sortir. Et cette séquence est l'une des plus belles choses que j'ai jamais vu.

Puis vient le choix final. Un choix parfait, cohérent, logique. Un simple choix "Oui ou Non" qui résume parfaitement ce que Taro veut raconter, ce qu'il voit dans le média et dans les joueurs. Et j'ai dit "Oui". Sans réfléchir un seul instant, sans penser aux implications, aux heures passées devant mon écran à m'amuser, à détruire, à créer, à pleurer...

J'ai dit "Oui".

Et la phrase "Glory to Mankind", une phrase ayant perdue de son sens, une phrase ayant pris une allure sale et dépravée, est redevenue un message d'espoir. Un message de vie.

Alors...

Glory to Mankind.



Conclusion:

NieR: Automata va me rester en tête pendant très longtemps. Je m'y suis lancé complètement à l'aveugle, et j'en suis ressorti complètement soufflé.

Il m'a brisé, m'a détruit, m'a montré l'horreur de son monde et la psyché déprimante de ses protagonistes dans l'une des meilleurs histoires jamais racontée dans un jeu vidéo.

Et le point d'honneur, ce qui porte le scénario à un tel niveau, et ce qui rend l’œuvre de Yoko Taro si spéciale, c'est l'utilisation complète du média dans tous ses moindres recoins. La structure, les dérives de la méta et des codes, des différentes séquences, de la réalisation, des systèmes de jeu... Ce sont ces éléments qui permettent à Automata d'accéder à une telle intensité, à une telle beauté.

Il est l'exemple parfait de comment se servir de son support pour raconter une histoire. Il existe des centaines de façons différentes de le faire, mais grâce à sa progression et à sa construction, Automata atteint un niveau rare.

Automata n'aurait pas pu être autre chose qu'un jeu vidéo. Son essence même, son cœur, et tout ce qu'il accompli réside dans son simple statut de jeu vidéo.

C'est ça un jeu de Yoko Taro. Et c'est pourquoi je le considère comme l'un des plus grands créateurs de ces dernières années.

Le travail de Taro doit être étudié, analysé, non pas pour le reproduire, mais pour en apprendre, comme lui a tant appris, comme lui a tant assimilé, comme lui a tant réfléchi pour créer quelque chose d'unique en se basant sur 30 ans d'institutions et de création.

Plus de gens devraient penser comme ça. Il est tellement important de repousser les limites du média, mais aussi de les absorber, de les briser, et de les utiliser à son propre avantage. Car quand on a quelque chose de beau à raconter, quelque chose de fort à faire transparaître au travers de ces avantages, on créé NieR: Automata.

J'ai vécu l'une des expériences les plus fortes de ma vie. J'ai eu affaire à l'un des meilleurs jeux auxquels j'ai jamais joué. L'une des œuvres les plus essentielles de ces 30 dernières années.

Et pour citer Jim Sterling, qui a à mon goût parfaitement résumé la situation en une seule phrase: "If history forgets about NieR: Automata... Then fuck history."

C'est aussi simple que ça.


"It... Always ends like this."



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